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Gianni Poli

Gianni Poli, «Combat de nègre et de chiens» de Bernard-Marie Koltès. Mises en scène italiennes (1984-2009)

Data di pubblicazione su web 13/11/2009
Remo Girone (Horn) e Stefania Orsola Garello (Léone); regia di Giampiero Solari. Teatro Stabile delle Marche, 2003 (foto di Bobo Antic).

Nel ventennale della morte dell'autore (Metz 1948 - Paris 1989) si è tenuto a Caen (Normandia), dal 25 al 27 ottobre 2009, il Convegno "Bernard-Marie Koltès. Démons, chimères et autres métamorphoses", organizzato in collaborazione da Université de Caen - Univ. Paris VII - Univ. Provence Aix-Marseille - Ecole supérieure d'arts et médias, Caen - Institut mémoire édition contemporaine IMEC. L'opera di Koltès è stata analizzata da docenti, critici e teatranti nei suoi aspetti letterari e drammaturgici, anche in rapporto alle più recenti acquisizioni biografiche; alla presenza di François Koltès, fratello dell'autore. Sulla messa in scena, l'unico contributo è stato quello di Gianni Poli (Combat de nègre et de chiens. Mises en scène italiennes 1984-2009) che si pubblica nella versione francese integrale:

1. «…dans l’ombre, de nuit, à minuit… les langues se délient, les corps se heurtent et vomissent les errements d’un homme animal… Métamorphoses… démons… fièvre… obsession…» (Avant-projet, Caen, 2008-09).

2. «Amoureux des secrets, de la démesure, des bains de lune, il nous faut voyager dans nos mondes de ténèbres et de lumières» (Michel Piccoli, À propos de Combat, dans Treatt/Chéreau, 1984).

«Des éclairs dans une nuit de tension, de douleur, de violence, de jouissance» (Programme, Teatrino Giullare, 2008).

Prélude

En janvier 1984, Combat de nègre et de chiens (traduit Negro contro cani) avait été créé à Turin par le Gruppo della Rocca : première occasion de rencontre pour le spectateur italien avec l’œuvre de Bernard-Marie Koltès. Octobre 1989 : Lotta di negro contro cani venait de paraître aux éditions Costa & Nolan de Gênes, dans ma traduction. Combat est donc la pièce qui a fait connaître l’œuvre du dramaturge  en Italie. On pourrait reconstituer une véritable histoire du rayonnement du nouveau dramaturge chez nous, justement à partir de cette pièce-là ; prélude, à partir des années 1990, à la multiplication de l’intérêt porté sur les pièces du nouvel auteur, dans le but de s’en assurer la création sur scène et/ou la publication (cf. G. Poli, De Koltès à Koltès, en Italie, Colloque France-Italie : un dialogue…, Abbaye d’Ardenne, 2006). Depuis sa création, il faut attendre jusqu’à 2003 pour assister aux deux mises en scène de la même pièce : la première, au Teatro Stabile delle Marche (Ancône), la deuxième au Teatro Stabile de Gênes. Je donnerai quelques informations sur la création, puis une reconstitution-confrontation des  représentations dans les deux principaux Théâtres; en ajoutant aussi quelques renseignements sur les représentations les plus récentes. Entre temps, je brosserai une petite histoire des traductions du texte en question.

Traductions

Une lutte acharnée avait été engagée à l’époque, pour l’acquisition des droits d’édition, lutte qui se déchaîne entre Costa & Nolan et la maison Ubulibri en 1988-89. L’établissement génois l’emporte avec Combat, pour la traduction duquel elle va demander ma collaboration. J’en suis ravi, mais aussi bouleversé par tous ces détours, ces allusions un peu tourmentées et obscures de ce langage jusqu’ici inconnu. Mon travail sur le texte était une aventure d’apprentissage et de  création passionnante. Le texte italien paraît en octobre 1989. Lorsque j’étais  à Paris en 1991, boursier-traducteur grâce à la Direction du Livre du Ministère de la Culture, j’étais en train de traduire, sans commande, Le retour au désert… Et pour demander à Michel Vinaver l’accord à traduire son L’émission de télévision. J’ignorais alors les pourparlers avec le frère de Bernard-Marie, François, qui donnaient gain de cause à Ubulibri pour publier le Théâtre complet. C’est la Maison de Milan  qui en effet fait sortir le premier volume du Théâtre de Koltès, en excluant ma traduction et incluant celle, réélaborée, de Saverio Vertone.

Quelques remarques sur les quatre états du texte.

Le premier est dû à Saverio Vertone, dont le but était de donner la version pour la scène. Paru dans le Programme, il nous offre une version bien jouable, fidèle à l’original, bien que beaucoup de répliques, de passages, y restent au premier niveau, littéral,  de transposition. Les critiques en louent la qualité (sans avoir lu l’original), toutefois certaines expressions demeurent obscures (sinon fautives), telles «jeu de gamelle», «petite mort», «for intérieur», etc…  La Scène IIe par exemple, nous montre cette ambiguïté, à propos de la réplique de Léone: «J’attends que cela ne bouge plus», où il est fait clairement allusion au coucher du soleil. On pourrais donc confronter les quatre solutions choisies. Voilà :

Vertone, 1984 : «Aspetto che non cambi più… Che non cambi più. Quando sarà tutto nero…».

Poli, 1989 : «Aspetto che sia spento… Che sia tramontato. Col buio andrà meglio».

Vertone, 1991: correction, soit «…Che non cambi più. Quando sarà tutto buio…” 

Magrelli, 2003: «Aspetto che smetta… Che smetta. Quando sarà buio…».  

Comment  je vous le disais, le premier volume du Théâtre, qui a paru en 1991, nous offre la version de Vertone, cette-fois-ci Scontro di negro contro cani, dans laquelle, on peut parfois remarquer des améliorations, peut-être empruntées à ma version. Ce « buio », par exemple ; sans changer « dans mon for intérieur » et « les petites morts ». En général, 1re et 2me versions restent très voisines. Enfin, comme moi aussi j’ai participé directement à cette entreprise, vous avez la chance d’écouter, sur les quatre versions rédigées du 1983 au 2003, l’avis d’un témoin, pas du tout objectif!

1989. Lorsque je passe à l’étude du texte, je dispose déjà de la version de Vertone. Ma démarche a évolué dans une recherche chez des français de langue maternelle… et je dois remarquer, chez la plupart, la difficulté de comprendre la cible linguistique, sinon dramatique, de l’auteur. En général, face au langage de Koltès - évidemment hermétique, car il s’agit de poésie-de-scène - on assiste à une succession de détours, d’ellipses et de phrases plurisens… C’est pour cela que le traducteur est soucieux d’un côté d’éclaircir et expliquer, de l’autre côté, de garder cette couleur mystérieuse, sombre, propre à cette écriture stupéfiante.   

Au niveau du lexique, par exemple, on assiste à quelques fautes à proprement parler : « dans mon for intérieur » devient «nel mio foro interiore» ; or, foro en italien signifie parquet et /ou trou! ;  la locution « jeu de gamelle » (Scène VIII) ne trouve sa solution ni dans la première (traduite  « davanti al gioco della gamelle »), ni dans la dernière version. Ma version se basait sur une recherche à outrance, y compris un coup de fil à Nanterre, à l’attachée de presse du Théâtre, à quelqu’un qui avait collaboré avec Chéreau à la mise en scène : personne hélas n’arriva à m’expliquer ces mots, sinon avec des renvois au jeu des dés. C’est pour cela que j’ai traduit « davanti al gioco della gamella » (p.  34), repris tel quel par un Valerio Magrelli convaincu.

En effet, les critiques italiens – peut-être sans avoir lu le texte – expriment un jugement favorable sur cette première traduction, où, soit dit en passant, les Carnets sont devenus Note e schizzi a margine (chez Poli, Taccuini, chez Magrelli, Quaderni). En 2003, le Théâtre de Gênes, bien qu’ayant eu connaissance des versions précédentes, demande une nouvelle version au poète Valerio Magrelli, qui mène à bien son entreprise. Quelques  remarques sur les solutions, à partir (Scène VIII), de la didascalie de Cal : « S’arrêtant brusquement de jouer ». Celle-ci devient dans

Vertone, “Fermandosi bruscamente per giocare” (faute per), qui signifie « pour » jouer, donc un contresens. Meme choix dans l’édition 1991. Les traductions de Poli et de Magrelli, au contraire, ne trahissaient pas le texte. Poli, « Interrompendo bruscamente il gioco »; Magrelli, «Smettendo improvvisamente di giocare ».

À propos de la tirade complète de Horn, consacrée aux feux d’artifice, il est à noter le renforcement de Vertone 1, « oh dei signori fuochi ! », interjection absente chez Koltès, mais très vivante. Valerio Magrelli, pourtant, ne manque pas d’avouer, dans sa Note insérée dans le  Programme que publie le Théâtre: «Je tiens à signaler que certaines des solutions langagières m’ont été suggérées par les versions de Saverio Vertone et Gianni Poli». En effet, on remarque un grand nombre de didascalies, de répliques, directement empruntées aux textes antérieurs. Ceci, pour souligner la nécessité… discutable d’une nouvelle traduction.

Combat sur la scène : de la création aux derniers regards (soit, 25 ans après…).

Turin, 1984 : mise en scène de Mario Missiroli.

Nous en étions au début des années quatre-vingt, juste après la création par Patrice Chéreau, lorsque le metteur en scène Mario Missiroli découvre ce texte, censé représenter le chef-d’œuvre d’un auteur vivant quasiment inconnu. En tant que collaborateur du Gruppo della Rocca, qui venait de déménager de Florence pour s’installer au Teatro Adua de Turin, il met donc à l’affiche Negro contro cani fin 1983. L’auteur sera invité à assister aux répétitions (Création, 16 février 1984). Le metteur en scène avoue dans une  interview : « Un texte dont je suis tombé amoureux… » (G. Davico Bonino, 23 déc. 1983). L’auteur, à son passage à Milan, est présenté par Renato Palazzi (« Corriere della sera », 30 déc. 83) : « …plus qu’un auteur de théâtre, il fait penser à un habitué acharné des boîtes… ». L’auteur se souvient de son impression africaine : « Un chantier… un camp de concentration… ». On lui pose la question : « Pourquoi le titre évoque-t-il ce chien qu’on ne verra jamais sur la scène? ». Et Koltès répond : « L’idée m’a été suggérée du fait que les Africains ont peur des chiens… Dans ce cas, le chien était intéressant pour moi en tant que symbole de ce qui devient la cible du combat des Noirs ». 

Par rapport à la création française, on doit considérer la dimension différente des projets italiens, notamment du premier, à partir du montage, très simple, et à l’espace réduit, qu’on avait à Turin. Par contre, au Teatro delle Muse d’Ancône et au Teatro Duse de Gênes, la production disposait d’un plateau assez grand. 

Le problème de dramaturgie se réduisait à l’essentiel, dans la conception de Mario Missiroli ; en revanche, chez Langhoff, on rencontre l’ambition de dire – peut-être – le théâtre entier de Koltès : mettre en scène une summa, par laquelle  faire entendre les textes publiés dans les Carnets en tant – je pense – que milieu émotionnel, poétique de chaque personnage.

Revenons à Turin, où le rôle du Noir Alboury (personne ne notait que alboury rappelle la lumière, le blanc, par un oxymoron concret, linguistique et porté par l’acteur). Missiroli s’exprime sur cette utilisation du nom et justifie son choix : ce n’est pas grave que l’interprète d’Alboury ne soit pas noir : ce qui importe, ce sont les paroles qu’il prononce. En faisant allusion à Nanterre, le metteur en scène relève la différence : «Là on agissait dans un grand espace, tandis que nous, nous agissons dans une structure réduite mais quand-même capable d’apporter de fortes suggestions […]. La question que pose la pièce est anthropologique, c'est-à-dire l’affrontement entre le Noir africain et l’univers occidental… » (R. G., « Il Secolo XIX », 14 janv. 1984). Et il va imposer un masque noir, du front aux lèvres (genre Pulcinella), à Dino Desiata, coiffé d’une petite casquette à visière.

Quant au décor, il s’agissait d’un bureau plutôt étroit dans une baraque en tôles, entouré de clôtures en barbelés ; avec une table et des chaises de pique-nique pliables. Seul signe de la forêt, une plante, censée représenter la bougainvillée du chantier selon Koltès. Une passerelle en charpente praticable où se tenaient les gardiens, enjambe l’aire de jeu sur le plateau. La musique, son et bruitage compris, était particulièrement remarquée par la critique. Le noyau de quatre pièces de Luciano Berio venait d’être arrangé par le musicien Ludovico Einaudi.

Selon Guido Davico Bonino, on entendait sur scène une « parole agressive et déchirante… coulée d’un texte à la réitération obsessionnelle, parole d’angoisse et de mort…». Le travail du metteur en scène était « rigoureux… dans son abstraction sèche et acérée… On vivait sur la scène le drame de quatre ségrégations ». Quant aux acteurs, le jeu proposé par le directeur prêtait attention à l’éthologie de leur côté animal. Alboury par Dino Desiata touchait à une sorte de «légèreté de symbole»; ou encore, selon M. G. Gregori, le personnage était «poussé à la négritude métaphysique ». Aux feux crus des projecteurs toujours branchés, la baraque tournait en montrant intérieur et extérieur. Dans cet environnement, Cal paraît «hystérique et violent»; Léone, «bête et évaporée»; Horn, « d’une récitation dépouillée, raréfiée ». Mauro Manciotti (pour lequel le texte annoncé par Koltès s’appelait Key West!) cerne dans ce texte le type de la dramaturgie de l’auteur, qu’il définit « affrontement… à la nature absolue et primordiale… enfer saturé par une méchanceté métaphysique ». Le critique remarque l’usage d’un langage poétique aux enjeux expressionnistes, dans un dialogue quotidien très habile. Pour lui, Dino Desiata offre « un signe quasi matériel de l’impénétrabilité de son propre univers noir… Cal est un gigantesque pantin violent ».

La traduction, qui rend la puissance et le caractère scabreux de l’original, avec une rare adhésion lexicale et sémantique, est particulièrement appréciée par Gastone Geron. Pour sa part, Odoardo Bertani aime notamment le décor, «très joli décor à la couleur de fer». Le succès de l’auteur se révèle dans des psychologies convaincantes à défaut d’être originales ; «œuvre habile et malicieuse dans ses séquences où les effets prévus ne manquent pas». On obtient ainsi un recueil préalable de jugements à la fois sur l’œuvre et sur la mise en scène autour d’un écrivain plus proche de Joseph Conrad que de Jean Genet.

 

Une esquisse de mise en scène, en 2000.

Dans la saison 2000-2001 on peut retenir une version très simple, pourtant nourrie d’un esprit qui vise à l’essentiel du combat entre adversaires et où la négritude est mieux représentée: tant avec le choix d’un espace censé offrir le lieu de rencontre pour des Noirs, qui s’y retrouvent pour danser, à la périphérie de la ville, que pour le choix d’un acteur noir (Makhoudia Sylla) dans le rôle d’Alboury. Le décor est « une plateforme en béton couverte de sciure… et le dessin d’une fenêtre, une table et un arbuste ». On doit cette mise en scène à Alessio Pizzech ; les documents, hélas, ne nous donnent pas d’autres renseignements.     

 

Combat dans les Théâtres publics.

L’entreprise de Giampiero Solari prenait de l’élan au Teatro Stabile delle Marche à Ancone. Institution qui a mené une véritable enquête autour de l’œuvre de B.-M. Koltès, tant il est vrai que les trois pièces, ont été montées y compris Dans la solitude… et Roberto Zucco.  Giampiero Solari s’exprimait ainsi: «En effet, celui-ci n’est pas un auteur très monté en Italie […].  C’est un magnifique ouvrage moderne, je vais le traiter en grand classique » («Corriere Adriatico», 19 janv.). Et dans ses Notes, consacrées à l’histoire de la pièce, promesse de suspense, le metteur en scène rappelle la difficulté de compréhension entre les races, en faisant allusion à une dramaturgie qui lie Shakespeare, Racine et les Grecs anciens. Le chantier est ici bien évident dans un tas de débris qui encombre le plateau, au pied de deux piliers en béton inachevés.

La distribution affichait Remo Girone, comédien célèbre de la télévision et du cinéma, dans le rôle de Horn. Personne n’a relevé le sens du mot Horn, soit Cap, Cap Horn : c’est une indication de l’auteur. Selon le comédien, « l’auteur ne s’exprime pas sur la difficile question de la rencontre entre deux mondes qui se heurtent en se toisant…». Ces propos ont été recueillis par la journaliste Livia Grossi (« Il Corriere della Sera », 21 fév. 03), qui parle de la pièce comme d’un « roman de 1979 ». La voix d’autres critiques : «Un magnifique Remo Girone, Horn enfermé dans sa propre mesquinerie, dans son égoïsme suspendu entre hyperréalisme et symbole » (M. G. Gregori, « L’Unità »). Renato Palazzi s’avoue bouleversé surtout par le final du drame, où il remarque « les poursuites et le jeu du kung-fu d’un goût trop cinématographique » («Il Sole-24 ore»). Franco Quadri loue la présence secrète d’Alboury (caché par la bougainvillée) et regrette, dans cette aventure scénique, un manque d’expression concernant les «bruits ancestraux de la forêt» («La Repubblica», 14 fév. 2003). Pourtant, la musique originelle qui se mêlait aux percussions d’Omar N’diaye, donnait lieu à des effets marquants, grâce aussi à un bruitage soutenu.

Il faut noter la robe de Léone, qui ici est d’abord rouge, une robe du soir aux épaules nues, puis blanche, qui rappelle celle qu’elle portait dans la version génoise : uniquement une toilette rouge fleurie, garnie d’une écharpe du même tissu. Valerio Binasco était Cal. Il évoquait, dans une interview, l’écriture de Shakespeare, «la matérialité du jeu est identique chez Shakespeare et chez Koltès» (14 fév. 2003). Son interprétation évoquait, selon  Maria Manganaro, Caliban de La Tempête. Masolino D’Amico apprécie l’édition d’Ancône (et il y revient, à l’occasion de la représentation génoise, qu’en revanche il n’apprécie pas beaucoup) : «Excellents, les interprètes: un Remo Girone abattu, un Valerio Binasco venimeux, une Stefania Garello aux charmes flétris comme une fleur tropicale, et un athlète spécialiste de kick boxing, Alex Van Damme » («La Stampa »). Pour Renato Palazzi, le bilan est moins positif, du côté de Léone, «qui passe à côté de sa grande occasion… et du Noir, qui s’adonne dans le  final au kun-fu ». Durée du spectacle, 2 heures 10 minutes.

À l’automne de la même année, le choix du Teatro di Genova se fait sur la pièce de Koltès profitant de la collaboration de Matthias Langhoff, qui avait déjà monté à Gênes le Revisor de Gogol. La mise en scène de Langhoff offre l’occasion de souligner la réaction des metteurs en scène italiens face au langage koltésien, à sa rhétorique du discours : discours entre les personnages (dialogues) et apartés du personnage (monologues). On doit toujours aborder, dans le transfert du texte à la scène, la complexité de ce discours : notamment dans les incipit (structurels et linguistiques) de ses pièces : par exemple, l’échange entre le Dealer et le Client ; celui entre les frères du Retour au désert et cette demande inassouvie d’Alboury : « Je suis Alboury, monsieur ; je viens chercher le corps… ».

Tout cela pour souligner que nos metteurs en scène penchent pour l’effacement de cette rhétorique (qui ne nourrit pas l’action, n’offre pas d’effets bouleversants) et, dans le but de concrétiser, ramènent le jeu à une sorte de réalisme, obtenu même par le sous-texte. Dans l’interprétation de Langhoff, l’artiste suisse qui a travaillé en Allemagne et en France, pourtant si sensible à la culture  française (il fait référence à la création de Nanterre), on aperçoit les motifs cinématographiques de son spectacle. C’est tout de même en raison de sa lecture, qu’il rapproche Heiner Müller de Bernard-Marie Koltès : «Dans ces deux textes, Philoctète et Combat…, les auteurs s’interrogent justement sur la barbarie latente, faite de violence et de vexation de l’homme sur l’homme » (Koltès, Lotta di negro e cani, Gênes, Il melangolo, 2003, p. 130).  L’exploitation de l’espace chez Langhoff visait à créer  un lieu intime, apte à déclencher la claustrophobie, presque un «théâtre de chambre» (Lotta, cit., p. 138), par opposition au décor éclaté, conçu par Chéreau et Peduzzi. Un regard au dispositif (ou machine à jouer), car il s’agit d’une baraque-abri, tournante sur le plateau, dont l’aire de jeu est tour à tour l’intérieur du bureau surélevé (où Cal et Horn jouent aux dés) et l’extérieur à la lisière de la forêt. Ces sont des espaces percés de lumières et parsemés d’ombres, où se déroule la poursuite de Léone et Alboury ; le dialogue entre Horn et Alboury, qui évolue vers le rapprochement spatial correspondant à un éloignement existentiel ; le rapport entre Cal et Léone, avec ces effleurements et poursuites qui frôlent presque la tentative de viol.

La cohérence insistante, fatale, d’Alboury, était impliquée dans une relation même sentimentale, avec Léone : les gestes de la femme qui tente de séduire ce mec noir et qui finit par s’entailler le visage. Le rapport entre Horn et Cal est le plus difficile, en raison de l’attitude très différente des personnages vis-à-vis de l’Afrique (Lotta…, cit. , p. 135). Pour ce qui est de la dramaturgie, Langhoff a choisi de confier aux acteurs également des morceaux empruntés aux Carnets, tandis que les didascalies qui lient les scènes sont dites par une voix hors champ (de Marco Sciaccaluga). Musique et bruitage interviennent juste – et surtout - dans ces passages, plongés dans le noir. On entendait bien le bruit de la forêt et aussi bien – dans leurs répliques – les réflexions de chaque personnage, tiré des Carnets : «Magnifiques », de l’avis de Langhoff : « Ce sont les mots qu’il [l’auteur] a choisi de ne pas employer dans le texte définitif, et pourtant de  garder, de ne pas jeter dans la poubelle…» (Lotta, cit., p. 138). L’emploi du son et du bruitage vise à rendre l’atmosphère qui plane sur l’attente et la préparation du rite de l’enterrement selon la tradition africaine (Combat, cit., p. 139). 

Ainsi le spectacle s’avérait-il dilué.  Peut-être en raison de la méfiance du metteur en scène à l’égard de la rhétorique koltésienne, qui détourne du drame, radical et essentiel, entre les adversaires.

Une  interview après la représentation (G. Manganelli, Io Eros Pagni, Genova, De Ferrari, 2006, pp. 108-11) nous donne l’avis de l’acteur, déçu par le choix du metteur en scène de rester fidèle, jusqu’à l’ennui, au texte koltésien : «Dès ma première lecture, le texte m’est apparu un pur verbiage, l’acteur souffre d’emblée de la longueur des répétitions inutiles…» (op. cit., p. 110). Et Masolino D’Amico : «Version par trop intégrale » («La Stampa », 30 oct. 2003). 

Le spectacle se déroulait en deux temps ; le premier se terminait avec la fin de la Scène Xe, durée 1 heure et demie ; le deuxième temps, 1 heure 5 minutes (entracte  exclu). Un regard sur les objets du décor  montre la richesse et le soin de la représentation : la baraque réalisée à partir d’un conteneur ; une charpente pour un puits à bâtir; armature en treillis métallique ; transistor,  ventilateur de table ; moustiquaire électrique ; distributeur de gobelets ; cornet à dés ; cartes postales ; bouteilles de whisky et de bière ; revolver ; fusil ; camionnette ; feux d’artifice…

Le final s’avère fidèle au texte, lorsqu’on assiste à l’action de Cal qui pointe son fusil, vise un Gardien et reçoit les trois balles et tombe… Après, on aura encore l’entrée de Horn qui s’approche du cadavre de son collaborateur et lui donne un petit coup de pied. Pourtant, c’est peut-être juste en raison de ce geste-là que Franco Quadri pense que le chef de chantier est le responsable direct de la mort du technicien : «Le chef assomme Cal ». Le critique a aimé la restitution du personnage du Noir, « authentique et secret ». Quant au jeu, Quadri estime que les interprètes demeurent «loin du vérisme, mais saisis par une quête poétique et politique qui les traverse » («La Repubblica», 3 nov. 2003). Sur les mises en scène reconstituées, je dispose d’une documentation apte à donner une idée de ce qui s’est passé au niveau esthétique et, uniquement dans le cas de Gênes, d’une captation vidéo, à laquelle je fais référence. En octobre 2008, on assiste à une mise en scène par le Teatrino del Giullare, à Modène, où les éléments fondamentaux et significatifs étaient l’interprétation des quatre rôles par deux comédiens et un environnement tout à fait visionnaire obtenu par la surimpression d’images projetées sur un fond-écran.

Une mise en scène plus récente encore (Milan, mai 2009) confirme l’intérêt porté sur cette pièce, représentative de Koltès, pour l’équilibre de sa distribution en quatre personnages avec deux couples. Le metteur en scène Andrea Brunetti exprime ainsi son intention: «Koltès déclame de la poésie d’une voix tonitruante et s’emporte ; c’est l’agressivité de l’homme contre l’homme, de la bête qui plante ses crocs dans la chair de sa proie et ne la lâche plus, et aucun d’entre eux ne reconnaît la langue de l’autre : ses personnages se cherchent pour s’entre-déchirer dans la nuit mystérieuse, chargée de peur, qui entoure le camp […] sa voix parle depuis des distances mythiques, préhistoriques, qui reviennent toujours et encore à évoquer tout ce sang versé jusqu’ici, chaque fois qu’un homme, sans savoir pourquoi, obéissant à sa nature, attaque». Ceci correspond un peu - de même que pour la structure intime de Dans la solitude des champs de coton - à l’atmosphère évoquée par les thèmes suggérées par le Colloque : la peur, la nuit, les mystères et les obsessions, sont au nombre des différents aspects que ma reconstitution, sommaire et superficielle, finit par donner à voir en tant qu’éléments constants, dans les styles et les genres bien présents et reconnaissables dans les diverses interprétations et représentations.

Je vous remercie de votre attention. Merci de vos questions sur ce que je n’ai pas su expliquer ou qui reste encore en tout cas obscur.

 


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