Nel ventennale della morte dell'autore (Metz 1948 - Paris 1989) si è tenuto a Caen (Normandia), dal 25 al 27 ottobre 2009, il Convegno "Bernard-Marie Koltès. Démons, chimères et autres métamorphoses", organizzato in collaborazione da Université de Caen - Univ. Paris VII - Univ. Provence Aix-Marseille - Ecole supérieure d'arts et médias, Caen - Institut mémoire édition contemporaine IMEC. L'opera di Koltès è stata analizzata da docenti, critici e teatranti nei suoi aspetti letterari e drammaturgici, anche in rapporto alle più recenti acquisizioni biografiche; alla presenza di François Koltès, fratello dell'autore. Sulla messa in scena, l'unico contributo è stato quello di Gianni Poli (Combat de nègre et de chiens. Mises en scène italiennes 1984-2009) che si pubblica nella versione francese integrale:
1. «…dans lombre, de nuit, à minuit… les langues se délient, les corps se heurtent et vomissent les errements dun homme animal… Métamorphoses… démons… fièvre… obsession…» (Avant-projet, Caen, 2008-09).
2. «Amoureux des secrets, de la démesure, des bains de lune, il nous faut voyager dans nos mondes de ténèbres et de lumières» (Michel Piccoli, À propos de Combat, dans Treatt/Chéreau, 1984).
«Des éclairs dans une nuit de tension, de douleur, de violence, de jouissance» (Programme, Teatrino Giullare, 2008).
Prélude
En janvier 1984, Combat de nègre et de chiens (traduit Negro contro cani) avait été créé à Turin par le Gruppo della Rocca : première occasion de rencontre pour le spectateur italien avec lœuvre de Bernard-Marie Koltès. Octobre 1989 : Lotta di negro contro cani venait de paraître aux éditions Costa & Nolan de Gênes, dans ma traduction. Combat est donc la pièce qui a fait connaître lœuvre du dramaturge en Italie. On pourrait reconstituer une véritable histoire du rayonnement du nouveau dramaturge chez nous, justement à partir de cette pièce-là ; prélude, à partir des années 1990, à la multiplication de lintérêt porté sur les pièces du nouvel auteur, dans le but de sen assurer la création sur scène et/ou la publication (cf. G. Poli, De Koltès à Koltès, en Italie, Colloque France-Italie : un dialogue…, Abbaye dArdenne, 2006). Depuis sa création, il faut attendre jusquà 2003 pour assister aux deux mises en scène de la même pièce : la première, au Teatro Stabile delle Marche (Ancône), la deuxième au Teatro Stabile de Gênes. Je donnerai quelques informations sur la création, puis une reconstitution-confrontation des représentations dans les deux principaux Théâtres; en ajoutant aussi quelques renseignements sur les représentations les plus récentes. Entre temps, je brosserai une petite histoire des traductions du texte en question.
Traductions
Une lutte acharnée avait été engagée à lépoque, pour lacquisition des droits dédition, lutte qui se déchaîne entre Costa & Nolan et la maison Ubulibri en 1988-89. Létablissement génois lemporte avec Combat, pour la traduction duquel elle va demander ma collaboration. Jen suis ravi, mais aussi bouleversé par tous ces détours, ces allusions un peu tourmentées et obscures de ce langage jusquici inconnu. Mon travail sur le texte était une aventure dapprentissage et de création passionnante. Le texte italien paraît en octobre 1989. Lorsque jétais à Paris en 1991, boursier-traducteur grâce à la Direction du Livre du Ministère de la Culture, jétais en train de traduire, sans commande, Le retour au désert… Et pour demander à Michel Vinaver laccord à traduire son Lémission de télévision. Jignorais alors les pourparlers avec le frère de Bernard-Marie, François, qui donnaient gain de cause à Ubulibri pour publier le Théâtre complet. Cest la Maison de Milan qui en effet fait sortir le premier volume du Théâtre de Koltès, en excluant ma traduction et incluant celle, réélaborée, de Saverio Vertone.
Quelques remarques sur les quatre états du texte.
Le premier est dû à Saverio Vertone, dont le but était de donner la version pour la scène. Paru dans le Programme, il nous offre une version bien jouable, fidèle à loriginal, bien que beaucoup de répliques, de passages, y restent au premier niveau, littéral, de transposition. Les critiques en louent la qualité (sans avoir lu loriginal), toutefois certaines expressions demeurent obscures (sinon fautives), telles «jeu de gamelle», «petite mort», «for intérieur», etc… La Scène IIe par exemple, nous montre cette ambiguïté, à propos de la réplique de Léone: «Jattends que cela ne bouge plus», où il est fait clairement allusion au coucher du soleil. On pourrais donc confronter les quatre solutions choisies. Voilà :
Vertone, 1984 : «Aspetto che non cambi più… Che non cambi più. Quando sarà tutto nero…».
Poli, 1989 : «Aspetto che sia spento… Che sia tramontato. Col buio andrà meglio».
Vertone, 1991: correction, soit «…Che non cambi più. Quando sarà tutto buio…”
Magrelli, 2003: «Aspetto che smetta… Che smetta. Quando sarà buio…».
Comment je vous le disais, le premier volume du Théâtre, qui a paru en 1991, nous offre la version de Vertone, cette-fois-ci Scontro di negro contro cani, dans laquelle, on peut parfois remarquer des améliorations, peut-être empruntées à ma version. Ce « buio », par exemple ; sans changer « dans mon for intérieur » et « les petites morts ». En général, 1re et 2me versions restent très voisines. Enfin, comme moi aussi jai participé directement à cette entreprise, vous avez la chance découter, sur les quatre versions rédigées du 1983 au 2003, lavis dun témoin, pas du tout objectif!
1989. Lorsque je passe à létude du texte, je dispose déjà de la version de Vertone. Ma démarche a évolué dans une recherche chez des français de langue maternelle… et je dois remarquer, chez la plupart, la difficulté de comprendre la cible linguistique, sinon dramatique, de lauteur. En général, face au langage de Koltès - évidemment hermétique, car il sagit de poésie-de-scène - on assiste à une succession de détours, dellipses et de phrases plurisens… Cest pour cela que le traducteur est soucieux dun côté déclaircir et expliquer, de lautre côté, de garder cette couleur mystérieuse, sombre, propre à cette écriture stupéfiante.
Au niveau du lexique, par exemple, on assiste à quelques fautes à proprement parler : « dans mon for intérieur » devient «nel mio foro interiore» ; or, foro en italien signifie parquet et /ou trou! ; la locution « jeu de gamelle » (Scène VIII) ne trouve sa solution ni dans la première (traduite « davanti al gioco della gamelle »), ni dans la dernière version. Ma version se basait sur une recherche à outrance, y compris un coup de fil à Nanterre, à lattachée de presse du Théâtre, à quelquun qui avait collaboré avec Chéreau à la mise en scène : personne hélas narriva à mexpliquer ces mots, sinon avec des renvois au jeu des dés. Cest pour cela que jai traduit « davanti al gioco della gamella » (p. 34), repris tel quel par un Valerio Magrelli convaincu.
En effet, les critiques italiens – peut-être sans avoir lu le texte – expriment un jugement favorable sur cette première traduction, où, soit dit en passant, les Carnets sont devenus Note e schizzi a margine (chez Poli, Taccuini, chez Magrelli, Quaderni). En 2003, le Théâtre de Gênes, bien quayant eu connaissance des versions précédentes, demande une nouvelle version au poète Valerio Magrelli, qui mène à bien son entreprise. Quelques remarques sur les solutions, à partir (Scène VIII), de la didascalie de Cal : « Sarrêtant brusquement de jouer ». Celle-ci devient dans
Vertone, “Fermandosi bruscamente per giocare” (faute per), qui signifie « pour » jouer, donc un contresens. Meme choix dans lédition 1991. Les traductions de Poli et de Magrelli, au contraire, ne trahissaient pas le texte. Poli, « Interrompendo bruscamente il gioco »; Magrelli, «Smettendo improvvisamente di giocare ».
À propos de la tirade complète de Horn, consacrée aux feux dartifice, il est à noter le renforcement de Vertone 1, « oh dei signori fuochi ! », interjection absente chez Koltès, mais très vivante. Valerio Magrelli, pourtant, ne manque pas davouer, dans sa Note insérée dans le Programme que publie le Théâtre: «Je tiens à signaler que certaines des solutions langagières mont été suggérées par les versions de Saverio Vertone et Gianni Poli». En effet, on remarque un grand nombre de didascalies, de répliques, directement empruntées aux textes antérieurs. Ceci, pour souligner la nécessité… discutable dune nouvelle traduction.
Combat sur la scène : de la création aux derniers regards (soit, 25 ans après…).
Turin, 1984 : mise en scène de Mario Missiroli.
Nous en étions au début des années quatre-vingt, juste après la création par Patrice Chéreau, lorsque le metteur en scène Mario Missiroli découvre ce texte, censé représenter le chef-dœuvre dun auteur vivant quasiment inconnu. En tant que collaborateur du Gruppo della Rocca, qui venait de déménager de Florence pour sinstaller au Teatro Adua de Turin, il met donc à laffiche Negro contro cani fin 1983. Lauteur sera invité à assister aux répétitions (Création, 16 février 1984). Le metteur en scène avoue dans une interview : « Un texte dont je suis tombé amoureux… » (G. Davico Bonino, 23 déc. 1983). Lauteur, à son passage à Milan, est présenté par Renato Palazzi (« Corriere della sera », 30 déc. 83) : « …plus quun auteur de théâtre, il fait penser à un habitué acharné des boîtes… ». Lauteur se souvient de son impression africaine : « Un chantier… un camp de concentration… ». On lui pose la question : « Pourquoi le titre évoque-t-il ce chien quon ne verra jamais sur la scène? ». Et Koltès répond : « Lidée ma été suggérée du fait que les Africains ont peur des chiens… Dans ce cas, le chien était intéressant pour moi en tant que symbole de ce qui devient la cible du combat des Noirs ».
Par rapport à la création française, on doit considérer la dimension différente des projets italiens, notamment du premier, à partir du montage, très simple, et à lespace réduit, quon avait à Turin. Par contre, au Teatro delle Muse dAncône et au Teatro Duse de Gênes, la production disposait dun plateau assez grand.
Le problème de dramaturgie se réduisait à lessentiel, dans la conception de Mario Missiroli ; en revanche, chez Langhoff, on rencontre lambition de dire – peut-être – le théâtre entier de Koltès : mettre en scène une summa, par laquelle faire entendre les textes publiés dans les Carnets en tant – je pense – que milieu émotionnel, poétique de chaque personnage.
Revenons à Turin, où le rôle du Noir Alboury (personne ne notait que alboury rappelle la lumière, le blanc, par un oxymoron concret, linguistique et porté par lacteur). Missiroli sexprime sur cette utilisation du nom et justifie son choix : ce nest pas grave que linterprète dAlboury ne soit pas noir : ce qui importe, ce sont les paroles quil prononce. En faisant allusion à Nanterre, le metteur en scène relève la différence : «Là on agissait dans un grand espace, tandis que nous, nous agissons dans une structure réduite mais quand-même capable dapporter de fortes suggestions […]. La question que pose la pièce est anthropologique, c'est-à-dire laffrontement entre le Noir africain et lunivers occidental… » (R. G., « Il Secolo XIX », 14 janv. 1984). Et il va imposer un masque noir, du front aux lèvres (genre Pulcinella), à Dino Desiata, coiffé dune petite casquette à visière.
Quant au décor, il sagissait dun bureau plutôt étroit dans une baraque en tôles, entouré de clôtures en barbelés ; avec une table et des chaises de pique-nique pliables. Seul signe de la forêt, une plante, censée représenter la bougainvillée du chantier selon Koltès. Une passerelle en charpente praticable où se tenaient les gardiens, enjambe laire de jeu sur le plateau. La musique, son et bruitage compris, était particulièrement remarquée par la critique. Le noyau de quatre pièces de Luciano Berio venait dêtre arrangé par le musicien Ludovico Einaudi.
Selon Guido Davico Bonino, on entendait sur scène une « parole agressive et déchirante… coulée dun texte à la réitération obsessionnelle, parole dangoisse et de mort…». Le travail du metteur en scène était « rigoureux… dans son abstraction sèche et acérée… On vivait sur la scène le drame de quatre ségrégations ». Quant aux acteurs, le jeu proposé par le directeur prêtait attention à léthologie de leur côté animal. Alboury par Dino Desiata touchait à une sorte de «légèreté de symbole»; ou encore, selon M. G. Gregori, le personnage était «poussé à la négritude métaphysique ». Aux feux crus des projecteurs toujours branchés, la baraque tournait en montrant intérieur et extérieur. Dans cet environnement, Cal paraît «hystérique et violent»; Léone, «bête et évaporée»; Horn, « dune récitation dépouillée, raréfiée ». Mauro Manciotti (pour lequel le texte annoncé par Koltès sappelait Key West!) cerne dans ce texte le type de la dramaturgie de lauteur, quil définit « affrontement… à la nature absolue et primordiale… enfer saturé par une méchanceté métaphysique ». Le critique remarque lusage dun langage poétique aux enjeux expressionnistes, dans un dialogue quotidien très habile. Pour lui, Dino Desiata offre « un signe quasi matériel de limpénétrabilité de son propre univers noir… Cal est un gigantesque pantin violent ».
La traduction, qui rend la puissance et le caractère scabreux de loriginal, avec une rare adhésion lexicale et sémantique, est particulièrement appréciée par Gastone Geron. Pour sa part, Odoardo Bertani aime notamment le décor, «très joli décor à la couleur de fer». Le succès de lauteur se révèle dans des psychologies convaincantes à défaut dêtre originales ; «œuvre habile et malicieuse dans ses séquences où les effets prévus ne manquent pas». On obtient ainsi un recueil préalable de jugements à la fois sur lœuvre et sur la mise en scène autour dun écrivain plus proche de Joseph Conrad que de Jean Genet.
Une esquisse de mise en scène, en 2000.
Dans la saison 2000-2001 on peut retenir une version très simple, pourtant nourrie dun esprit qui vise à lessentiel du combat entre adversaires et où la négritude est mieux représentée: tant avec le choix dun espace censé offrir le lieu de rencontre pour des Noirs, qui sy retrouvent pour danser, à la périphérie de la ville, que pour le choix dun acteur noir (Makhoudia Sylla) dans le rôle dAlboury. Le décor est « une plateforme en béton couverte de sciure… et le dessin dune fenêtre, une table et un arbuste ». On doit cette mise en scène à Alessio Pizzech ; les documents, hélas, ne nous donnent pas dautres renseignements.
Combat dans les Théâtres publics.
Lentreprise de Giampiero Solari prenait de lélan au Teatro Stabile delle Marche à Ancone. Institution qui a mené une véritable enquête autour de lœuvre de B.-M. Koltès, tant il est vrai que les trois pièces, ont été montées y compris Dans la solitude… et Roberto Zucco. Giampiero Solari sexprimait ainsi: «En effet, celui-ci nest pas un auteur très monté en Italie […]. Cest un magnifique ouvrage moderne, je vais le traiter en grand classique » («Corriere Adriatico», 19 janv.). Et dans ses Notes, consacrées à lhistoire de la pièce, promesse de suspense, le metteur en scène rappelle la difficulté de compréhension entre les races, en faisant allusion à une dramaturgie qui lie Shakespeare, Racine et les Grecs anciens. Le chantier est ici bien évident dans un tas de débris qui encombre le plateau, au pied de deux piliers en béton inachevés.
La distribution affichait Remo Girone, comédien célèbre de la télévision et du cinéma, dans le rôle de Horn. Personne na relevé le sens du mot Horn, soit Cap, Cap Horn : cest une indication de lauteur. Selon le comédien, « lauteur ne sexprime pas sur la difficile question de la rencontre entre deux mondes qui se heurtent en se toisant…». Ces propos ont été recueillis par la journaliste Livia Grossi (« Il Corriere della Sera », 21 fév. 03), qui parle de la pièce comme dun « roman de 1979 ». La voix dautres critiques : «Un magnifique Remo Girone, Horn enfermé dans sa propre mesquinerie, dans son égoïsme suspendu entre hyperréalisme et symbole » (M. G. Gregori, « LUnità »). Renato Palazzi savoue bouleversé surtout par le final du drame, où il remarque « les poursuites et le jeu du kung-fu dun goût trop cinématographique » («Il Sole-24 ore»). Franco Quadri loue la présence secrète dAlboury (caché par la bougainvillée) et regrette, dans cette aventure scénique, un manque dexpression concernant les «bruits ancestraux de la forêt» («La Repubblica», 14 fév. 2003). Pourtant, la musique originelle qui se mêlait aux percussions dOmar Ndiaye, donnait lieu à des effets marquants, grâce aussi à un bruitage soutenu.
Il faut noter la robe de Léone, qui ici est dabord rouge, une robe du soir aux épaules nues, puis blanche, qui rappelle celle quelle portait dans la version génoise : uniquement une toilette rouge fleurie, garnie dune écharpe du même tissu. Valerio Binasco était Cal. Il évoquait, dans une interview, lécriture de Shakespeare, «la matérialité du jeu est identique chez Shakespeare et chez Koltès» (14 fév. 2003). Son interprétation évoquait, selon Maria Manganaro, Caliban de La Tempête. Masolino DAmico apprécie lédition dAncône (et il y revient, à loccasion de la représentation génoise, quen revanche il napprécie pas beaucoup) : «Excellents, les interprètes: un Remo Girone abattu, un Valerio Binasco venimeux, une Stefania Garello aux charmes flétris comme une fleur tropicale, et un athlète spécialiste de kick boxing, Alex Van Damme » («La Stampa »). Pour Renato Palazzi, le bilan est moins positif, du côté de Léone, «qui passe à côté de sa grande occasion… et du Noir, qui sadonne dans le final au kun-fu ». Durée du spectacle, 2 heures 10 minutes.
À lautomne de la même année, le choix du Teatro di Genova se fait sur la pièce de Koltès profitant de la collaboration de Matthias Langhoff, qui avait déjà monté à Gênes le Revisor de Gogol. La mise en scène de Langhoff offre loccasion de souligner la réaction des metteurs en scène italiens face au langage koltésien, à sa rhétorique du discours : discours entre les personnages (dialogues) et apartés du personnage (monologues). On doit toujours aborder, dans le transfert du texte à la scène, la complexité de ce discours : notamment dans les incipit (structurels et linguistiques) de ses pièces : par exemple, léchange entre le Dealer et le Client ; celui entre les frères du Retour au désert et cette demande inassouvie dAlboury : « Je suis Alboury, monsieur ; je viens chercher le corps… ».
Tout cela pour souligner que nos metteurs en scène penchent pour leffacement de cette rhétorique (qui ne nourrit pas laction, noffre pas deffets bouleversants) et, dans le but de concrétiser, ramènent le jeu à une sorte de réalisme, obtenu même par le sous-texte. Dans linterprétation de Langhoff, lartiste suisse qui a travaillé en Allemagne et en France, pourtant si sensible à la culture française (il fait référence à la création de Nanterre), on aperçoit les motifs cinématographiques de son spectacle. Cest tout de même en raison de sa lecture, quil rapproche Heiner Müller de Bernard-Marie Koltès : «Dans ces deux textes, Philoctète et Combat…, les auteurs sinterrogent justement sur la barbarie latente, faite de violence et de vexation de lhomme sur lhomme » (Koltès, Lotta di negro e cani, Gênes, Il melangolo, 2003, p. 130). Lexploitation de lespace chez Langhoff visait à créer un lieu intime, apte à déclencher la claustrophobie, presque un «théâtre de chambre» (Lotta, cit., p. 138), par opposition au décor éclaté, conçu par Chéreau et Peduzzi. Un regard au dispositif (ou machine à jouer), car il sagit dune baraque-abri, tournante sur le plateau, dont laire de jeu est tour à tour lintérieur du bureau surélevé (où Cal et Horn jouent aux dés) et lextérieur à la lisière de la forêt. Ces sont des espaces percés de lumières et parsemés dombres, où se déroule la poursuite de Léone et Alboury ; le dialogue entre Horn et Alboury, qui évolue vers le rapprochement spatial correspondant à un éloignement existentiel ; le rapport entre Cal et Léone, avec ces effleurements et poursuites qui frôlent presque la tentative de viol.
La cohérence insistante, fatale, dAlboury, était impliquée dans une relation même sentimentale, avec Léone : les gestes de la femme qui tente de séduire ce mec noir et qui finit par sentailler le visage. Le rapport entre Horn et Cal est le plus difficile, en raison de lattitude très différente des personnages vis-à-vis de lAfrique (Lotta…, cit. , p. 135). Pour ce qui est de la dramaturgie, Langhoff a choisi de confier aux acteurs également des morceaux empruntés aux Carnets, tandis que les didascalies qui lient les scènes sont dites par une voix hors champ (de Marco Sciaccaluga). Musique et bruitage interviennent juste – et surtout - dans ces passages, plongés dans le noir. On entendait bien le bruit de la forêt et aussi bien – dans leurs répliques – les réflexions de chaque personnage, tiré des Carnets : «Magnifiques », de lavis de Langhoff : « Ce sont les mots quil [lauteur] a choisi de ne pas employer dans le texte définitif, et pourtant de garder, de ne pas jeter dans la poubelle…» (Lotta, cit., p. 138). Lemploi du son et du bruitage vise à rendre latmosphère qui plane sur lattente et la préparation du rite de lenterrement selon la tradition africaine (Combat, cit., p. 139).
Ainsi le spectacle savérait-il dilué. Peut-être en raison de la méfiance du metteur en scène à légard de la rhétorique koltésienne, qui détourne du drame, radical et essentiel, entre les adversaires.
Une interview après la représentation (G. Manganelli, Io Eros Pagni, Genova, De Ferrari, 2006, pp. 108-11) nous donne lavis de lacteur, déçu par le choix du metteur en scène de rester fidèle, jusquà lennui, au texte koltésien : «Dès ma première lecture, le texte mest apparu un pur verbiage, lacteur souffre demblée de la longueur des répétitions inutiles…» (op. cit., p. 110). Et Masolino DAmico : «Version par trop intégrale » («La Stampa », 30 oct. 2003).
Le spectacle se déroulait en deux temps ; le premier se terminait avec la fin de la Scène Xe, durée 1 heure et demie ; le deuxième temps, 1 heure 5 minutes (entracte exclu). Un regard sur les objets du décor montre la richesse et le soin de la représentation : la baraque réalisée à partir dun conteneur ; une charpente pour un puits à bâtir; armature en treillis métallique ; transistor, ventilateur de table ; moustiquaire électrique ; distributeur de gobelets ; cornet à dés ; cartes postales ; bouteilles de whisky et de bière ; revolver ; fusil ; camionnette ; feux dartifice…
Le final savère fidèle au texte, lorsquon assiste à laction de Cal qui pointe son fusil, vise un Gardien et reçoit les trois balles et tombe… Après, on aura encore lentrée de Horn qui sapproche du cadavre de son collaborateur et lui donne un petit coup de pied. Pourtant, cest peut-être juste en raison de ce geste-là que Franco Quadri pense que le chef de chantier est le responsable direct de la mort du technicien : «Le chef assomme Cal ». Le critique a aimé la restitution du personnage du Noir, « authentique et secret ». Quant au jeu, Quadri estime que les interprètes demeurent «loin du vérisme, mais saisis par une quête poétique et politique qui les traverse » («La Repubblica», 3 nov. 2003). Sur les mises en scène reconstituées, je dispose dune documentation apte à donner une idée de ce qui sest passé au niveau esthétique et, uniquement dans le cas de Gênes, dune captation vidéo, à laquelle je fais référence. En octobre 2008, on assiste à une mise en scène par le Teatrino del Giullare, à Modène, où les éléments fondamentaux et significatifs étaient linterprétation des quatre rôles par deux comédiens et un environnement tout à fait visionnaire obtenu par la surimpression dimages projetées sur un fond-écran.
Une mise en scène plus récente encore (Milan, mai 2009) confirme lintérêt porté sur cette pièce, représentative de Koltès, pour léquilibre de sa distribution en quatre personnages avec deux couples. Le metteur en scène Andrea Brunetti exprime ainsi son intention: «Koltès déclame de la poésie dune voix tonitruante et semporte ; cest lagressivité de lhomme contre lhomme, de la bête qui plante ses crocs dans la chair de sa proie et ne la lâche plus, et aucun dentre eux ne reconnaît la langue de lautre : ses personnages se cherchent pour sentre-déchirer dans la nuit mystérieuse, chargée de peur, qui entoure le camp […] sa voix parle depuis des distances mythiques, préhistoriques, qui reviennent toujours et encore à évoquer tout ce sang versé jusquici, chaque fois quun homme, sans savoir pourquoi, obéissant à sa nature, attaque». Ceci correspond un peu - de même que pour la structure intime de Dans la solitude des champs de coton - à latmosphère évoquée par les thèmes suggérées par le Colloque : la peur, la nuit, les mystères et les obsessions, sont au nombre des différents aspects que ma reconstitution, sommaire et superficielle, finit par donner à voir en tant quéléments constants, dans les styles et les genres bien présents et reconnaissables dans les diverses interprétations et représentations.
Je vous remercie de votre attention. Merci de vos questions sur ce que je nai pas su expliquer ou qui reste encore en tout cas obscur.
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