Pour Bernard Dort - universitaire et essayiste
Bernard Dort se définissait
comme étant « un homme des revues » et son « œuvre » est
constituée des essais liés à la vie théâtrale.
Impliqué dans la vie
théâtrale et universitaire, Dort a participé à des revues et a écrit pour elles
au nom de la confiance dans une réflexion concrète mais pas immédiate. Il ne
sest pas livré au journalisme mais a adopté la position intermédiaire entre « la rapidité des journaux » et « la lenteur des livres ». Cest le
propre dun essayiste qui trouve dans les revues loutil propice à son rapport
au théâtre. Et cela explique la relation privilégiée quil a entretenu avec
elles. Lessai est léquivalent de la nouvelle quune amie comparait au
« baiser court » opposé au « baiser long » propre au roman.
Les
revues exemplaires et leur dialectique
En France, trois exemples
scandent principalement les relations entre la scène et la revue. Et entre
elles sest établi une relation de succession tacitement polémique.
Dabord « Théâtre populaire », revue
étudiée par Marco Consolini.
Elle intervient comme première référence. Elle fut pensée comme un outil de
réflexion à même daccompagner laventure du « théâtre populaire » de
Jean Vilar. Sans être
directement rattachée à lui, elle entrait en dialogue avec ses options et
semployait à fournir des textes liés à la pratique du créateur du Festival
dAvignon et du Théâtre National Populaire. Un lien de reconnaissance pourtant
lucide sest instauré entre la revue et son programme, réunis par une vision
apparentée du théâtre. Bernard Dort à côté de Roland Barthes, Jean
Duvignaud, Guy Dumur fut
un des piliers du « Théâtre populaire
».
La revue sappuie sur un
double socle. Dun côté un théâtre –peu importe les modalités– et de lautre un
éditeur. André Voisin, directeur
de la maison dédition lArche, fut le soutien du « Théâtre populaire » au nom de ses convictions
politiques et de ses liaisons avec ses membres. Sans intervenir directement, il
sassociait aux positions adoptées par cet outil dintervention ayant un grand
impact sur la vie théâtrale. Cest ce quon lui a reproché parfois.
Ensuite, la découverte de Bertolt Brecht va entraîner
léloignement progressif de Jean Vilar, de son esthétique aussi bien que de sa
pensée politique. Cela a conduit à lextinction du premier modèle au profit
dune autre revue, « Travail théâtral
», conçue comme lanti-thèse du « Théâtre populaire ». Thèse-antithèse, cette relation
polémique définit le rapport entre la scène et les deux revues. Elles ne sont
pas adversaires de manière flagrante, mais elles enregistrent les mutations
opérées dans le champ de la pensée théâtrale de gauche en France. Au Théâtre
National Populaire succède le Berliner Ensemble comme modèle. Et à Vilar,
Brecht. Brecht qui trouve en Bernard Dort son exégète le plus mobilisé, Dort
qui sert dagent de liaison entre les deux revues car de lancienne équipe ne
se trouve plus que lui seul accompagné cette fois-ci par des collègues de
génération, Denis Bablet, Françoise Kourilski, Emile Copfermann. La revue se consacre
désormais à des questions de politique théâtrale et surtout de production, en
particulier la création collective. En priorité avec référence au Théâtre du
Soleil dont les spectacles sont souvent évoqués mais on retrouve également des
références à la Schaubühne, au Théâtre National de Strasbourg ou à dautres
troupes moins réputées, comme le théâtre de lAquarium ou le Théâtre de
lopprimé, mais se réclamant de positions similaires. Par ailleurs, les
exclusions sont significatives, de Beckett
et Ionesco à Robert Wilson ou le Living Theatre. La
force de la revue provient de sa radicalité en partie dogmatique.
Léditeur est cette fois-ci
le propriétaire de la maison lAge dhomme, Vladimir Dijmitrievic. Dorigine serbe, il crée sa maison en
Suisse et souvre à lédition théâtrale grâce à la série Théâtre des
années 20 et à la revue « Travail théâtral ». Dijmitrievic assure une
gestion assez désordonnée de lAge dhomme mais sans affecter dans un premier
temps les parutions. Comme André Voisin, il adopte une neutralité respectueuse
malgré lopposition flagrante de sa pensée politique avec les postures de ses
publications théâtrales.
Vers la fin des années 70,
en raison des mutations opérées dans le champ idéologique et esthétique de
lépoque, le groupe fondateur entend procéder à la convocation de nouveaux
membres à même délargir le spectre de léquipe. On invite des créateurs et des
chercheurs apparentés – jen fais partie – mais le groupe perd son homogénéité.
La revue souvre davantage et permet lintrusion des pratiques et des artistes
autrefois écartés. Outre des difficultés économiques, cette dilution de son
noyau premier conduit à laffaiblissement de son intransigeance originelle. Par
ailleurs la vie théâtrale connaissait des priorités nouvelles concernant le
choix des œuvres, les options spatiales, les prises de positions politiques. La
relation avec les scènes de son temps sest distendue et la revue – parvenue au
numéro 33 – sest auto dissoute. On admettait ainsi limportance de la relation
entre la scène de lépoque et de la revue comme garante de sa pertinence
politique et esthétique. Celle-ci une fois affaiblie « Travail théâtral » séteint.
Lentretien
de Venise
En 1977 sest organisée à
Venise la Biennale de la dissidence à laquelle furent conviés de nombreux
participants français parmi lesquels se trouvaient Antoine Vitez, étoile montante de la scène parisienne, Claude Roy, Philippe Ivernel et moi-même. A cette occasion jai mené un long
entretien avec Vitez sur Brecht pour la publication des « Cahiers de lHerne »
qui lui consacrait une livraison sous la direction de Bernard Dort et Jean-François Peyret. Vitez affirma
alors : « Brecht, on ne doit pas ladorer, on ne doit pas le
sacrifier, on doit le traiter ». Cet échange eut lieu au café Florian, le
café privilégié de Wagner, que Brecht attaquait, café que nous avons dû quitter
lorsque les premiers signes « dacqua alta » se sont manifestés. Avant de quitter le lieu, Vitez sest confessé
: « Les temps changent… non seulement pour Brecht. Une fois ce serait bien
quune autre revue paraisse pour se substituer à Travail théâtral». Dailleurs dans un texte paru dans la
revue « Travail théâtral »,
plus de dix ans auparavant, Vitez parlait déjà de son vœu de créer une revue
intitulée « LArt du théâtre ». Il entendait se réclamer ainsi de Gordon Craig et se dissocier
polémiquement du culte généralisé pour Brecht, qui était le père spirituel de
la revue « Travail théâtral ».
Il a évoqué ce souhait dès notre première rencontre de Venise. Nous sommes
sortis du café Florian et ce jour-là se scella notre amitié dun quart de
siècle et le germe de la revue se profila comme un horizon possible.
Le préalable
du Journal de Chaillot
Nommé à la direction du
Théâtre national de Chaillot quelques années plus tard, en 1981, Vitez minvita
à le rejoindre avec pour mission dassumer la rédaction en chef du « Journal de Chaillot » qui devait
réunir aussi bien ses principes théoriques pour la programmation, les
informations pratiques, les entretiens dans leur disparité, les débats avec le
public etc. Selon le terme de « la nouvelle cuisine » à lépoque en
vogue à Paris, le « Journal » avait pour vocation dêtre « le
légume unique ». Le « Journal » devait être le miroir du théâtre tout
entier, le reflet de sa multiplicité et de son foisonnement. Linformation
lemportait sur la réflexion.
Au terme de quelques années
le pari sest avéré intenable et malgré ma dévotion le « Journal » ne parvenait pas à assumer
lensemble des missions imparties. Un jour, assis sur la place Stanislas, à
Nancy, au printemps 1984, Vitez, un peu mal à laise, sadressa à moi :
« Te souviens-tu de notre dialogue de Venise ? » ;
« Il va de soi, que oui » répondis-je, assez inquiet car je sentais
déjà quautour se tissaient des intrigues de palais pour me déloger de la
rédaction en chef. « Voudrais-tu renoncer au Journal pour que lon fasse ensemble notre Art du théâtre ? » – question qui me laissa perplexe tout en me
remplissant démotion. Après Venise, cette fois-ci Nancy, cest toujours dans
des lieux publics que Vitez ma parlé, ma fait confiance et ma associé à sa
pensée. Laccord fut conclu et nous partions ensemble pour le voyage de « LArt du théâtre ». Ainsi se réalisait
le passage du « journal » à la « revue ».
Ensuite, lors du festival
dAvignon 1984, une rencontre eut lieu dans la maison provençale de Hubert Nyssen qui avait lancé la
maison dédition Actes Sud et avec lequel Antoine Vitez entretenait des
liaisons amicales. En présence également de Yannis Kokkos, de moi-même, nous avons scellé lalliance de
Chaillot, institution réputée, et dActes Sud, à ses débuts. « Un théâtre et une maison dédition » – voilà le lien premier. Lien fortement
assumé. Lien fondateur. Au printemps 1985 devait paraître le premier numéro de
la revue. « LArt du théâtre »
était née.
Les
prémisses du travail
« LArt du théâtre » je ne
lai pas hérité, je lai inventé.
Nommé rédacteur en chef,
mon premier souci fut la constitution dun comité de rédaction. Encore marqué
par les frottements qui avaient agité la dernière équipe du « Travail théâtral », jétais conscient
de limportance de lenjeu.
Loption première fut de
privilégier lamitié et tout ce quelle comporte comme garantie
sécuritaire : des débats, oui, mais pas de conflits. La deuxième
option : choisir des personnes sensibles à laventure théâtrale de Vitez
mais pas des inconditionnels serviles, des personnes qui venaient dhorizons
intellectuels ouverts et nétaient pas entièrement focalisés sur le théâtre.
Ainsi jai associé une écrivaine comme Danièle
Sallenave, amie de Vitez, un spécialiste des arts visuels comme Régis Durand, un traducteur de Shakespeare, comme Jean-Michel Déprats et une essayiste
inclassable, comme Martine Million.
A eux sajoutait Yannis Kokkos, le scénographe auquel Vitez avait fait
confiance pour son travail à Chaillot. Un comité de rédaction ouvert, ouvert
vers dautres arts, en apparence hétéroclite, mais en réalité uni par des
« affinités électives ». Le choix savérera pertinent car, toute la
durée de « LArt du théâtre »,
il ny a eu guère ni conflit ni rupture. Seulement une effervescence partagée.
Un principe communément
admis : pas de multiplications de réunions. Contentons-nous dune seule,
prolongée, animée, pour chaque numéro. Nous devions échanger nos points de vue
et nous concentrer sur une thématique décidée ensemble. Ensuite la réalisation
impliquait des échanges personnels, des appels téléphoniques, du courrier, mais
pas dassemblée réunie intégralement.
Un autre préalable de
travail : fuir la froideur des bureaux du théâtre de même que les horaires
douverture institutionnels. Choisir un espace familier, intime mais en même
temps érigé en point de repère durable. Pas de permutations, un lieu
personnalisé régulièrement fréquenté. Ce fut mon appartement, toujours le soir.
Et toujours associé à des plats simples et à quelques gouttes de champagne. Un
lieu de fidélité et du bien-être. Un lieu de convivialité. Nulle autre
hypothèse ne fut envisagée. Notre siège fut le 16 rue de Rivoli. Personnel et
non-institutionnel.
Le
projet éditorial
Un tableau préalable des
principes qui devaient régner sur le projet éditorial fut rédigé en commun – dailleurs
toute décision fut toujours prise collectivement. Dans le premier point nous
avons affirmé explicitement la volonté de nous dissocier de « Travail théâtral ». « Parler de lœuvre plus que du
processus. De lart plus que du travail ». Précepte on ne peut plus
explicite : il confirmait le vœu premier de Vitez formulé plusieurs années
auparavant au café Florian. Craig plutôt que Brecht.
Un second précepte se
chargeait dun sens polémique par rapport à la priorité montante à lépoque de
la place accordée à la photo dans les revues de théâtre. « Pas de Theater heute » – cétait lexemple
de référence. Nous disions : « A lheure de limage parions sur lécrit ».
Et ce choix va se confirmer tout au long de « LArt du théâtre » où de
nombreux écrivains ont été sollicités et ont répondu à nos appels. Des
écrivains et des philosophes en relation de proximité avec le théâtre. Et leurs
textes furent exemplaires par la qualité de leur réflexion autant que par leurs
vertus littéraires.
Vu la composition du comité
de rédaction, nous ne souhaitions pas nous replier sur le théâtre seulement,
nous enfermer dans son univers et cest pourquoi le vœu consistait de cultiver
une relation double : « penser le théâtre en rapport à lart ».
Capter les mouvements extérieurs, les courants didées, le frémissement de la
pensée extra-théâtrale mais reconnaissable dans le travail de la scène. Être au
carrefour.
Après avoir vécu
lessoufflement du festival de Nancy qui a longtemps agonisé ou de « Travail théâtral » qui sest épuisé,
nous nous sommes engagés pour une durée limitée « Deux saisons six
numéros. Ensuite on verra ». Fuir la perspective sans repères, se réclamer
des cycles précis, accepter des frontières temporelles nettes. Le rythme de
parution retenu se distinguait par son caractère atypique : trois
livraisons par an, car on faisait limpasse sur lété. Michel Vinaver, écrivain et homme daffaires me confirma un jour
la justesse de ce choix : « Trois numéros cest bon. Lété le théâtre
se repose ».
Le tirage était de mille
cinq cents exemplaires.
La scène et le théâtre,
mais également un troisième partenaire : léditeur Actes Sud. Cela nous a
conduit à donner à la revue un format livre, livre à parution cyclique,
rattaché à Chaillot mais aussi autonome, perçu comme tel. Nous avons adopté et
conservé le livre comme modèle de la revue. Et en même temps par le choix du
format, du papier nous affirmions la parenté visuelle avec les options dActes
Sud.
La structure de chaque
numéro sorganisait autour de deux pôles. Dun côté des débats théoriques et
esthétiques inspirés par lactualité, et de lautre des rubriques stables
assurées par des collaborateurs qui pouvaient choisir à leur gré les sujets
dintervention. Cela nous permettait de cultiver, dun côté, la relation avec
lactualité du paysage culturel et, de lautre, dassumer la fidélité des
collaborateurs de prestige.
De manière irrégulière nous
avons procédé à la traduction des textes théoriques significatifs, ouvrir sur
des spectacles événements à létranger, mais sans que cela simpose comme un
paramètre constant.
A ces commandements
collectivement assumés jai ajouté un autre, secret et personnel, au nom de
ladmiration que je vouais à lécriture dAntoine Vitez sur le théâtre :
quil ny ait pas un seul numéro sans sa signature. Cela a impliqué des
efforts, des attentes obstinées, des relances réitérées mais je suis parvenu à
mon but : il ny a nulle livraison de « LArt du théâtre » sans
la présence dun texte de Vitez. Et je men félicite. Aujourdhui encore.
Les
stations de la revue
Les axes de chaque numéro
étaient décidés après des réunions et des dialogues communs. Il sagissait de
retenir des sujets inspirés aussi bien par la vie du théâtre à lépoque que par
des questions émergentes du champ culturel. Ainsi nous avons consacré une large
interrogation au retour du « romantisme » dabord et ensuite à
lapparition dun « maniérisme » qui renvoyait aux grandes figures
italiennes réévaluées. La livraison qui a connu le retentissement le plus large
fut celle qui a ouvert le débat sur le questionnement concret du Metteur en scène pédagogue. Cela a
conduit à une réflexion chorale sur lenseignement et lécole, sur le rapport
entre travail scénique et pédagogie. Pour signaler lapparition dun certain
académisme nous avons réfléchi, polémiquement, autour dun symptôme que nous a
inquiété et contre lequel nous avons alerté lattention : « En manque de risque ». Cela a engendré des débats aussi bien
dans le monde du théâtre quà lextérieur. Dautres sujets ont lancé des
interrogations inattendues comme La Haine
du théâtre ou des prises de positions explicite comme le dossier intitulé Deffence et illustration de la mise en scène
(le titre reprenait la célèbre Deffence et illustration de la langue
française). Lavant-dernier
numéro de la revue portait sur lapparition du « spectaculaire » et
la généralisation dangereuse de la volonté de Faire événement. La revue, par les thématiques retenues, se situait
au croisement du théâtre et des arts. Elle confirmait ainsi sa
dénomination : « LArt du théâtre
».
Une donnée qui nous a
semblé décisive pour lidentité de la revue fut le choix des illustrations.
Fidèles à la confiance faite à lécrit nous avons écarté la présence des photos
de théâtre pour ouvrir chaque numéro à un plasticien dont lœuvre marquée par
une sorte de théâtralité souterraine, nous semblait entrer en dialogue avec
lesprit de la revue et avec les thèmes des numéros successifs. Et ainsi, en
feuilletant lensemble de la revue, nous découvrons une véritable galerie
dartistes qui ont marqué la scène culturelle française : Erik Desmazières, Jean-Michel Alberola, Gérard Garouste, Iulian Mereutza. La revue, pour
confirmer la volonté de souvrir au-delà du théâtre, a organisé une exposition
avec les ouvrages des artistes qui ont collaboré à son illustration et a
facilité ainsi la rencontre entre le monde du théâtre et celui des arts
plastiques.
Par ailleurs, chaque
livraison a été accompagnée par une présentation publique au Théâtre National
de Chaillot, qui réunissait des gens de théâtre et des spécialistes de lart.
Cette complémentarité a été un des principes qui a régi nos choix et a assuré loriginalité
de la revue. Lécriture – la lecture – le débat : voilà la chaine.
Un élément particulier
saffirme grâce aux choix de couverture. Couverture en couleur qui, dès les
premiers numéros, sest focalisé sur « la mythologie » du théâtre
ayant lItalie pour référence principale. Non pas des images dactualité, mais
des lieux anciens chargés dune aura particulière, mélange dinconnu et de
connu. Nous voulions nous rattacher à une « poétique de la mémoire »
ainsi affirmée par les options visuelles de la couverture. A cela sont venues
sajouter, dans un deuxième temps, dautres types dimages : images
fragmentaires, pareilles à des peintures. Lépaule dun comédien, lenvol dune
comédienne, à même daffirmer une « poétique du corps ».
« Poétique de la mémoire » et « poétique du corps » – ce
sont les deux volets qui se sont imposés grâce à des sceaux visuels retenus
avec soin.
« LArt du théâtre » en
tant que revue a choisi une solution qui dun côté assumait la continuité dune
revue et de lautre affirmait lautonomie de chaque livraison. On parvenait
ainsi à affirmer une pensée collective et à associer des réflexions
personnelles. Ni dogmatique, ni dispersée, elle sest située au carrefour de la
scène et du livre. Elle nétait ni hétérogène ni homogène, elle était fracturée
et cultivait le lien entre les deux termes en dialogue.
Larrêt
cardiaque
Initialement nous avons
prévu pour la revue une durée déterminée, sans que les repères temporels soient
strictement affirmés. La fin, nous lenvisagions sans pour autant la préciser.
Le ministre de la Culture Jack Lang,
sur demande expresse de François Mitterrand
élu pour une seconde fois, mit fin brutalement au mandat dAntoine Vitez à
Chaillot pour le nommer administrateur de la Comédie Française. Cela impliquait
larrêt brutal de la revue.
Nous avons mis fin à notre
aventure commune en 1989 en consacrant le dernier numéro à lœuvre théâtrales
accomplie par Antoine Vitez à Chaillot. Et cest dans son nouveau bureau de la
Comédie Française quil ma convié pour me lire ses adieux à Chaillot avec le
regret de ne pas avoir pu y jouer Œdipe à
Colonne ainsi quil le prévoyait. Il y avait de la nostalgie et, peut-être,
un pressentiment de la tragédie qui allait suivre : il disparaîtra deux
ans plus tard.
En guise de conclusion, sur
la couverture nous avons choisi une image emblématique du Soulier de satin qui avait triomphé un an auparavant à Avignon et
ensuite à Chaillot. Non pas des acteurs, mais des bateaux miniatures entassés
comme un souvenir du voyage qui sachevait. Et, moi, je concluais par un texte
qui sintitulait Du bon usage de larrêt
cardiaque – larrêt de notre revue – en évitant ainsi la dégradation
progressive que nous craignons. Mais qui nous a surpris par la violence de sa
déflagration.
Nous nous sommes retrouvés
une dernière fois chez moi et, sans la moindre manifestation publique, nous nous
sommes séparés pour ne jamais plus nous retrouver. La fin de la revue a marqué
la dispersion du groupe quelle avait constitué et qui, sans amertume, mais
avec la conscience tranquille, mettait un terme à laventure éditoriale qui
lavait réuni quatre années durant en compagnie dAntoine Vitez, le leader qui
na jamais affecté notre liberté de décision. Le règne de la confiance
réciproque nous a réuni. La confiance dans « LArt du théâtre ».
Lhéritage
de la revue
Le revue une fois arrêtée,
une collection a pris le relais. Toujours chez Actes Sud. Elle sintitule « Le temps du théâtre » et jai
trouvé cette appellation à Naples, soucieux que jétais de conserver
discrètement la mémoire de la revue et dannoncer, par ailleurs, une nouvelle
initiative. Elle se poursuit depuis trente ans et compte dans son catalogue des
livres qui ont joui dune reconnaissance réelle, livres de metteurs en scène
comme Luc Bondy, Patrice Chéreau, Thomas Ostermeier, Pippo Delbono ou livres de
scénographes comme Yannis Kokkos ou dacteurs comme Valérie Dréville. Sans parler des essais de Bernard Dort, de Laure Adler ou de moi-même. Suite à la
collaboration à « LArt du théâtre »,
Danièle Sallenave et Daniel Besnehard ont réuni leurs
collaborations en deux volumes qui ont connu un réel succès de librairie.
La série « Le temps du théâtre », que je co-dirige aujourdhui avec Claire David, poursuit encore son
chemin tandis que la revue « LArt du
théâtre » reste un souvenir
non-dégradé. Et je me réjouis souvent de la regarder sur les rayons de ma
bibliothèque ou ceux dautres amis. Une autre vie dont elle atteste, laventure
amicale dun groupe damis réunis autour dAntoine Vitez.
Ce qui a commencé à Venise
au café Florian finit son parcours à Venise aussi, cette fois-ci à la
Fondazione Giorgio Cini. Le cercle se clôt sous le signe de lItalie.