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Georges Banu

« L’Art du théâtre » : la scène et le livre

Data di pubblicazione su web 22/06/2022
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In occasione della scomparsa di Georges Banu, riproponiamo ai lettori di «Drammaturgia» la pubblicazione della relazione da lui tenuta nell’ambito del convegno Il Teatro delle riviste (1870-2000). I periodici come oggetti e strumenti della storiografia teatrale”, Venezia, Isola di San Giorgio, 8-10 giugno 2022



Pour Bernard Dort - universitaire et essayiste


Bernard Dort se définissait comme étant « un homme des revues » et son « œuvre » est constituée des essais liés à la vie théâtrale. 

Impliqué dans la vie théâtrale et universitaire, Dort a participé à des revues et a écrit pour elles au nom de la confiance dans une réflexion concrète mais pas immédiate. Il ne s’est pas livré au journalisme mais a adopté la position intermédiaire entre « la rapidité des journaux » et « la lenteur des livres ». C’est le propre d’un essayiste qui trouve dans les revues l’outil propice à son rapport au théâtre. Et cela explique la relation privilégiée qu’il a entretenu avec elles. L’essai est l’équivalent de la nouvelle qu’une amie comparait au « baiser court » opposé au « baiser long » propre au roman. 

Les revues exemplaires et leur dialectique 

En France, trois exemples scandent principalement les relations entre la scène et la revue. Et entre elles s’est établi une relation de succession tacitement polémique. 

D’abord « Théâtre populaire », revue étudiée par Marco Consolini. Elle intervient comme première référence. Elle fut pensée comme un outil de réflexion à même d’accompagner l’aventure du « théâtre populaire » de Jean Vilar. Sans être directement rattachée à lui, elle entrait en dialogue avec ses options et s’employait à fournir des textes liés à la pratique du créateur du Festival d’Avignon et du Théâtre National Populaire. Un lien de reconnaissance pourtant lucide s’est instauré entre la revue et son programme, réunis par une vision apparentée du théâtre. Bernard Dort à côté de Roland Barthes, Jean Duvignaud, Guy Dumur fut un des piliers du « Théâtre populaire ». 

La revue s’appuie sur un double socle. D’un côté un théâtre –peu importe les modalités– et de l’autre un éditeur. André Voisin, directeur de la maison d’édition l’Arche, fut le soutien du « Théâtre populaire » au nom de ses convictions politiques et de ses liaisons avec ses membres. Sans intervenir directement, il s’associait aux positions adoptées par cet outil d’intervention ayant un grand impact sur la vie théâtrale. C’est ce qu’on lui a reproché parfois. 

Ensuite, la découverte de Bertolt Brecht va entraîner l’éloignement progressif de Jean Vilar, de son esthétique aussi bien que de sa pensée politique. Cela a conduit à l’extinction du premier modèle au profit d’une autre revue, « Travail théâtral », conçue comme l’anti-thèse du « Théâtre populaire ». Thèse-antithèse, cette relation polémique définit le rapport entre la scène et les deux revues. Elles ne sont pas adversaires de manière flagrante, mais elles enregistrent les mutations opérées dans le champ de la pensée théâtrale de gauche en France. Au Théâtre National Populaire succède le Berliner Ensemble comme modèle. Et à Vilar, Brecht. Brecht qui trouve en Bernard Dort son exégète le plus mobilisé, Dort qui sert d’agent de liaison entre les deux revues car de l’ancienne équipe ne se trouve plus que lui seul accompagné cette fois-ci par des collègues de génération, Denis Bablet, Françoise Kourilski, Emile Copfermann. La revue se consacre désormais à des questions de politique théâtrale et surtout de production, en particulier la création collective. En priorité avec référence au Théâtre du Soleil dont les spectacles sont souvent évoqués mais on retrouve également des références à la Schaubühne, au Théâtre National de Strasbourg ou à d’autres troupes moins réputées, comme le théâtre de l’Aquarium ou le Théâtre de l’opprimé, mais se réclamant de positions similaires. Par ailleurs, les exclusions sont significatives, de Beckett et Ionesco à Robert Wilson ou le Living Theatre. La force de la revue provient de sa radicalité en partie dogmatique. 

L’éditeur est cette fois-ci le propriétaire de la maison l’Age d’homme, Vladimir Dijmitrievic. D’origine serbe, il crée sa maison en Suisse et s’ouvre à l’édition théâtrale grâce à la série Théâtre des années 20 et à la revue « Travail théâtral ». Dijmitrievic assure une gestion assez désordonnée de l’Age d’homme mais sans affecter dans un premier temps les parutions. Comme André Voisin, il adopte une neutralité respectueuse malgré l’opposition flagrante de sa pensée politique avec les postures de ses publications théâtrales. 

Vers la fin des années 70, en raison des mutations opérées dans le champ idéologique et esthétique de l’époque, le groupe fondateur entend procéder à la convocation de nouveaux membres à même d’élargir le spectre de l’équipe. On invite des créateurs et des chercheurs apparentés – j’en fais partie – mais le groupe perd son homogénéité. La revue s’ouvre davantage et permet l’intrusion des pratiques et des artistes autrefois écartés. Outre des difficultés économiques, cette dilution de son noyau premier conduit à l’affaiblissement de son intransigeance originelle. Par ailleurs la vie théâtrale connaissait des priorités nouvelles concernant le choix des œuvres, les options spatiales, les prises de positions politiques. La relation avec les scènes de son temps s’est distendue et la revue – parvenue au numéro 33 – s’est auto dissoute. On admettait ainsi l’importance de la relation entre la scène de l’époque et de la revue comme garante de sa pertinence politique et esthétique. Celle-ci une fois affaiblie « Travail théâtral » s’éteint. 

L’entretien de Venise 

En 1977 s’est organisée à Venise la Biennale de la dissidence à laquelle furent conviés de nombreux participants français parmi lesquels se trouvaient Antoine Vitez, étoile montante de la scène parisienne, Claude Roy, Philippe Ivernel et moi-même. A cette occasion j’ai mené un long entretien avec Vitez sur Brecht pour la publication des « Cahiers de l’Herne » qui lui consacrait une livraison sous la direction de Bernard Dort et Jean-François Peyret. Vitez affirma alors : « Brecht, on ne doit pas l’adorer, on ne doit pas le sacrifier, on doit le traiter ». Cet échange eut lieu au café Florian, le café privilégié de Wagner, que Brecht attaquait, café que nous avons dû quitter lorsque les premiers signes « d’acqua alta » se sont manifestés. Avant de quitter le lieu, Vitez s’est confessé : « Les temps changent… non seulement pour Brecht. Une fois ce serait bien qu’une autre revue paraisse pour se substituer à Travail théâtral». D’ailleurs dans un texte paru dans la revue « Travail théâtral », plus de dix ans auparavant, Vitez parlait déjà de son vœu de créer une revue intitulée « L’Art du théâtre ». Il entendait se réclamer ainsi de Gordon Craig et se dissocier polémiquement du culte généralisé pour Brecht, qui était le père spirituel de la revue « Travail théâtral ». Il a évoqué ce souhait dès notre première rencontre de Venise. Nous sommes sortis du café Florian et ce jour-là se scella notre amitié d’un quart de siècle et le germe de la revue se profila comme un horizon possible. 

Le préalable du Journal de Chaillot 

Nommé à la direction du Théâtre national de Chaillot quelques années plus tard, en 1981, Vitez m’invita à le rejoindre avec pour mission d’assumer la rédaction en chef du « Journal de Chaillot » qui devait réunir aussi bien ses principes théoriques pour la programmation, les informations pratiques, les entretiens dans leur disparité, les débats avec le public etc. Selon le terme de « la nouvelle cuisine » à l’époque en vogue à Paris, le « Journal » avait pour vocation d’être « le légume unique ». Le « Journal » devait être le miroir du théâtre tout entier, le reflet de sa multiplicité et de son foisonnement. L’information l’emportait sur la réflexion. 

Au terme de quelques années le pari s’est avéré intenable et malgré ma dévotion le « Journal » ne parvenait pas à assumer l’ensemble des missions imparties. Un jour, assis sur la place Stanislas, à Nancy, au printemps 1984, Vitez, un peu mal à l’aise, s’adressa à moi : « Te souviens-tu de notre dialogue de Venise ? » ; « Il va de soi, que oui » répondis-je, assez inquiet car je sentais déjà qu’autour se tissaient des intrigues de palais pour me déloger de la rédaction en chef. « Voudrais-tu renoncer au Journal pour que l’on fasse ensemble notre Art du théâtre ? » – question qui me laissa perplexe tout en me remplissant d’émotion. Après Venise, cette fois-ci Nancy, c’est toujours dans des lieux publics que Vitez m’a parlé, m’a fait confiance et m’a associé à sa pensée. L’accord fut conclu et nous partions ensemble pour le voyage de « L’Art du théâtre ». Ainsi se réalisait le passage du « journal » à la « revue ». 

Ensuite, lors du festival d’Avignon 1984, une rencontre eut lieu dans la maison provençale de Hubert Nyssen qui avait lancé la maison d’édition Actes Sud et avec lequel Antoine Vitez entretenait des liaisons amicales. En présence également de Yannis Kokkos, de moi-même, nous avons scellé l’alliance de Chaillot, institution réputée, et d’Actes Sud, à ses débuts. « Un théâtre et une maison d’édition » – voilà le lien premier. Lien fortement assumé. Lien fondateur. Au printemps 1985 devait paraître le premier numéro de la revue. « L’Art du théâtre » était née. 

Les prémisses du travail 

« L’Art du théâtre » je ne l’ai pas hérité, je l’ai inventé. 

Nommé rédacteur en chef, mon premier souci fut la constitution d’un comité de rédaction. Encore marqué par les frottements qui avaient agité la dernière équipe du « Travail théâtral », j’étais conscient de l’importance de l’enjeu. 

L’option première fut de privilégier l’amitié et tout ce qu’elle comporte comme garantie sécuritaire : des débats, oui, mais pas de conflits. La deuxième option : choisir des personnes sensibles à l’aventure théâtrale de Vitez mais pas des inconditionnels serviles, des personnes qui venaient d’horizons intellectuels ouverts et n’étaient pas entièrement focalisés sur le théâtre. Ainsi j’ai associé une écrivaine comme Danièle Sallenave, amie de Vitez, un spécialiste des arts visuels comme Régis Durand, un traducteur de Shakespeare, comme Jean-Michel Déprats et une essayiste inclassable, comme Martine Million. A eux s’ajoutait Yannis Kokkos, le scénographe auquel Vitez avait fait confiance pour son travail à Chaillot. Un comité de rédaction ouvert, ouvert vers d’autres arts, en apparence hétéroclite, mais en réalité uni par des « affinités électives ». Le choix s’avérera pertinent car, toute la durée de « L’Art du théâtre », il n’y a eu guère ni conflit ni rupture. Seulement une effervescence partagée. 

Un principe communément admis : pas de multiplications de réunions. Contentons-nous d’une seule, prolongée, animée, pour chaque numéro. Nous devions échanger nos points de vue et nous concentrer sur une thématique décidée ensemble. Ensuite la réalisation impliquait des échanges personnels, des appels téléphoniques, du courrier, mais pas d’assemblée réunie intégralement. 

Un autre préalable de travail : fuir la froideur des bureaux du théâtre de même que les horaires d’ouverture institutionnels. Choisir un espace familier, intime mais en même temps érigé en point de repère durable. Pas de permutations, un lieu personnalisé régulièrement fréquenté. Ce fut mon appartement, toujours le soir. Et toujours associé à des plats simples et à quelques gouttes de champagne. Un lieu de fidélité et du bien-être. Un lieu de convivialité. Nulle autre hypothèse ne fut envisagée. Notre siège fut le 16 rue de Rivoli. Personnel et non-institutionnel. 

Le projet éditorial 

Un tableau préalable des principes qui devaient régner sur le projet éditorial fut rédigé en commun – d’ailleurs toute décision fut toujours prise collectivement. Dans le premier point nous avons affirmé explicitement la volonté de nous dissocier de « Travail théâtral ». « Parler de l’œuvre plus que du processus. De l’art plus que du travail ». Précepte on ne peut plus explicite : il confirmait le vœu premier de Vitez formulé plusieurs années auparavant au café Florian. Craig plutôt que Brecht. 

Un second précepte se chargeait d’un sens polémique par rapport à la priorité montante à l’époque de la place accordée à la photo dans les revues de théâtre. « Pas de Theater heute » – c’était l’exemple de référence. Nous disions : « A l’heure de l’image parions sur l’écrit ». Et ce choix va se confirmer tout au long de « L’Art du théâtre » où de nombreux écrivains ont été sollicités et ont répondu à nos appels. Des écrivains et des philosophes en relation de proximité avec le théâtre. Et leurs textes furent exemplaires par la qualité de leur réflexion autant que par leurs vertus littéraires. 

Vu la composition du comité de rédaction, nous ne souhaitions pas nous replier sur le théâtre seulement, nous enfermer dans son univers et c’est pourquoi le vœu consistait de cultiver une relation double : « penser le théâtre en rapport à l’art ». Capter les mouvements extérieurs, les courants d’idées, le frémissement de la pensée extra-théâtrale mais reconnaissable dans le travail de la scène. Être au carrefour. 

Après avoir vécu l’essoufflement du festival de Nancy qui a longtemps agonisé ou de « Travail théâtral » qui s’est épuisé, nous nous sommes engagés pour une durée limitée « Deux saisons six numéros. Ensuite on verra ». Fuir la perspective sans repères, se réclamer des cycles précis, accepter des frontières temporelles nettes. Le rythme de parution retenu se distinguait par son caractère atypique : trois livraisons par an, car on faisait l’impasse sur l’été. Michel Vinaver, écrivain et homme d’affaires me confirma un jour la justesse de ce choix : « Trois numéros c’est bon. L’été le théâtre se repose ». 

Le tirage était de mille cinq cents exemplaires. 

La scène et le théâtre, mais également un troisième partenaire : l’éditeur Actes Sud. Cela nous a conduit à donner à la revue un format livre, livre à parution cyclique, rattaché à Chaillot mais aussi autonome, perçu comme tel. Nous avons adopté et conservé le livre comme modèle de la revue. Et en même temps par le choix du format, du papier nous affirmions la parenté visuelle avec les options d’Actes Sud. 

La structure de chaque numéro s’organisait autour de deux pôles. D’un côté des débats théoriques et esthétiques inspirés par l’actualité, et de l’autre des rubriques stables assurées par des collaborateurs qui pouvaient choisir à leur gré les sujets d’intervention. Cela nous permettait de cultiver, d’un côté, la relation avec l’actualité du paysage culturel et, de l’autre, d’assumer la fidélité des collaborateurs de prestige.

De manière irrégulière nous avons procédé à la traduction des textes théoriques significatifs, ouvrir sur des spectacles événements à l’étranger, mais sans que cela s’impose comme un paramètre constant. 

A ces commandements collectivement assumés j’ai ajouté un autre, secret et personnel, au nom de l’admiration que je vouais à l’écriture d’Antoine Vitez sur le théâtre : qu’il n’y ait pas un seul numéro sans sa signature. Cela a impliqué des efforts, des attentes obstinées, des relances réitérées mais je suis parvenu à mon but : il n’y a nulle livraison de « L’Art du théâtre » sans la présence d’un texte de Vitez. Et je m’en félicite. Aujourd’hui encore. 

Les stations de la revue 

Les axes de chaque numéro étaient décidés après des réunions et des dialogues communs. Il s’agissait de retenir des sujets inspirés aussi bien par la vie du théâtre à l’époque que par des questions émergentes du champ culturel. Ainsi nous avons consacré une large interrogation au retour du « romantisme » d’abord et ensuite à l’apparition d’un « maniérisme » qui renvoyait aux grandes figures italiennes réévaluées. La livraison qui a connu le retentissement le plus large fut celle qui a ouvert le débat sur le questionnement concret du Metteur en scène pédagogue. Cela a conduit à une réflexion chorale sur l’enseignement et l’école, sur le rapport entre travail scénique et pédagogie. Pour signaler l’apparition d’un certain académisme nous avons réfléchi, polémiquement, autour d’un symptôme que nous a inquiété et contre lequel nous avons alerté l’attention : « En manque de risque ». Cela a engendré des débats aussi bien dans le monde du théâtre qu’à l’extérieur. D’autres sujets ont lancé des interrogations inattendues comme La Haine du théâtre ou des prises de positions explicite comme le dossier intitulé Deffence et illustration de la mise en scène (le titre reprenait la célèbre Deffence et illustration de la langue française). L’avant-dernier numéro de la revue portait sur l’apparition du « spectaculaire » et la généralisation dangereuse de la volonté de Faire événement. La revue, par les thématiques retenues, se situait au croisement du théâtre et des arts. Elle confirmait ainsi sa dénomination : « L’Art du théâtre ». 

Une donnée qui nous a semblé décisive pour l’identité de la revue fut le choix des illustrations. Fidèles à la confiance faite à l’écrit nous avons écarté la présence des photos de théâtre pour ouvrir chaque numéro à un plasticien dont l’œuvre marquée par une sorte de théâtralité souterraine, nous semblait entrer en dialogue avec l’esprit de la revue et avec les thèmes des numéros successifs. Et ainsi, en feuilletant l’ensemble de la revue, nous découvrons une véritable galerie d’artistes qui ont marqué la scène culturelle française : Erik Desmazières, Jean-Michel Alberola, Gérard Garouste, Iulian Mereutza. La revue, pour confirmer la volonté de s’ouvrir au-delà du théâtre, a organisé une exposition avec les ouvrages des artistes qui ont collaboré à son illustration et a facilité ainsi la rencontre entre le monde du théâtre et celui des arts plastiques. 

Par ailleurs, chaque livraison a été accompagnée par une présentation publique au Théâtre National de Chaillot, qui réunissait des gens de théâtre et des spécialistes de l’art. Cette complémentarité a été un des principes qui a régi nos choix et a assuré l’originalité de la revue. L’écriture – la lecture – le débat : voilà la chaine. 

Un élément particulier s’affirme grâce aux choix de couverture. Couverture en couleur qui, dès les premiers numéros, s’est focalisé sur « la mythologie » du théâtre ayant l’Italie pour référence principale. Non pas des images d’actualité, mais des lieux anciens chargés d’une aura particulière, mélange d’inconnu et de connu. Nous voulions nous rattacher à une « poétique de la mémoire » ainsi affirmée par les options visuelles de la couverture. A cela sont venues s’ajouter, dans un deuxième temps, d’autres types d’images : images fragmentaires, pareilles à des peintures. L’épaule d’un comédien, l’envol d’une comédienne, à même d’affirmer une « poétique du corps ». « Poétique de la mémoire » et « poétique du corps » – ce sont les deux volets qui se sont imposés grâce à des sceaux visuels retenus avec soin. 

« L’Art du théâtre » en tant que revue a choisi une solution qui d’un côté assumait la continuité d’une revue et de l’autre affirmait l’autonomie de chaque livraison. On parvenait ainsi à affirmer une pensée collective et à associer des réflexions personnelles. Ni dogmatique, ni dispersée, elle s’est située au carrefour de la scène et du livre. Elle n’était ni hétérogène ni homogène, elle était fracturée et cultivait le lien entre les deux termes en dialogue. 

L’arrêt cardiaque 

Initialement nous avons prévu pour la revue une durée déterminée, sans que les repères temporels soient strictement affirmés. La fin, nous l’envisagions sans pour autant la préciser. Le ministre de la Culture Jack Lang, sur demande expresse de François Mitterrand élu pour une seconde fois, mit fin brutalement au mandat d’Antoine Vitez à Chaillot pour le nommer administrateur de la Comédie Française. Cela impliquait l’arrêt brutal de la revue. 

Nous avons mis fin à notre aventure commune en 1989 en consacrant le dernier numéro à l’œuvre théâtrales accomplie par Antoine Vitez à Chaillot. Et c’est dans son nouveau bureau de la Comédie Française qu’il m’a convié pour me lire ses adieux à Chaillot avec le regret de ne pas avoir pu y jouer Œdipe à Colonne ainsi qu’il le prévoyait. Il y avait de la nostalgie et, peut-être, un pressentiment de la tragédie qui allait suivre : il disparaîtra deux ans plus tard. 

En guise de conclusion, sur la couverture nous avons choisi une image emblématique du Soulier de satin qui avait triomphé un an auparavant à Avignon et ensuite à Chaillot. Non pas des acteurs, mais des bateaux miniatures entassés comme un souvenir du voyage qui s’achevait. Et, moi, je concluais par un texte qui s’intitulait Du bon usage de l’arrêt cardiaque – l’arrêt de notre revue – en évitant ainsi la dégradation progressive que nous craignons. Mais qui nous a surpris par la violence de sa déflagration. 

Nous nous sommes retrouvés une dernière fois chez moi et, sans la moindre manifestation publique, nous nous sommes séparés pour ne jamais plus nous retrouver. La fin de la revue a marqué la dispersion du groupe qu’elle avait constitué et qui, sans amertume, mais avec la conscience tranquille, mettait un terme à l’aventure éditoriale qui l’avait réuni quatre années durant en compagnie d’Antoine Vitez, le leader qui n’a jamais affecté notre liberté de décision. Le règne de la confiance réciproque nous a réuni. La confiance dans « L’Art du théâtre ». 

L’héritage de la revue 

Le revue une fois arrêtée, une collection a pris le relais. Toujours chez Actes Sud. Elle s’intitule « Le temps du théâtre » et j’ai trouvé cette appellation à Naples, soucieux que j’étais de conserver discrètement la mémoire de la revue et d’annoncer, par ailleurs, une nouvelle initiative. Elle se poursuit depuis trente ans et compte dans son catalogue des livres qui ont joui d’une reconnaissance réelle, livres de metteurs en scène comme Luc Bondy, Patrice Chéreau, Thomas Ostermeier, Pippo Delbono ou livres de scénographes comme Yannis Kokkos ou d’acteurs comme Valérie Dréville. Sans parler des essais de Bernard Dort, de Laure Adler ou de moi-même. Suite à la collaboration à « L’Art du théâtre », Danièle Sallenave et Daniel Besnehard ont réuni leurs collaborations en deux volumes qui ont connu un réel succès de librairie. 

La série « Le temps du théâtre », que je co-dirige aujourd’hui avec Claire David, poursuit encore son chemin tandis que la revue « L’Art du théâtre » reste un souvenir non-dégradé. Et je me réjouis souvent de la regarder sur les rayons de ma bibliothèque ou ceux d’autres amis. Une autre vie dont elle atteste, l’aventure amicale d’un groupe d’amis réunis autour d’Antoine Vitez. 

Ce qui a commencé à Venise au café Florian finit son parcours à Venise aussi, cette fois-ci à la Fondazione Giorgio Cini. Le cercle se clôt sous le signe de l’Italie. 




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